Harcèlement sexuel en Suisse: que dit la loi ?
Bien entendu, une cible de harcèlement sexuel n’est jamais obligée de porter plainte ou d’entamer une procédure et nous respectons totalement le choix individuel de chaque personne en la matière. Cependant, il est bon de savoir comment les actes de harcèlement sexuel sont légalement considérés dans différents contextes. Autant pour faciliter les démarches si une action est souhaitée que pour être conscient·e·x·s des différences entre les définitions sociales et légales de certains actes. De plus, certains actes sont poursuivis d’office sitôt qu’ils sont portés à la connaissance des autorités pénales ou de la police, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin de déposer une plainte formelle.
En Suisse, à la différence d’autres pays comme la France par exemple, il n’existe pas de cadre légal qui traite explicitement du harcèlement sexuel de manière générale, dans tous les domaines de la vie. En revanche, il existe plusieurs textes légaux qui protègent contre le harcèlement sexuel au travail d’une part, et certains actes de harcèlement sexuel dans d’autres contextes (agressions verbales, physiques, etc.) sont couverts par différents articles du Code pénal.
Au travail
Le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BEFG) de la Confédération définit le harcèlement sexuel sur le lieu de travail comme “tout comportement à caractère sexuel ou fondé sur l’appartenance à un sexe qui n’est pas souhaité par une personne et qui porte atteinte à sa dignité”. Il précise également qu’une “règle simple permet de déterminer si une situation constitue un simple flirt, un début de relation amoureuse ou sexuelle entre collègues ou au contraire un cas de harcèlement sexuel : ce qui distingue les deux types de situations n’est pas l’intention de la personne à l’origine de l’acte mais la façon dont il est ressenti par la personne concernée, le caractère désiré ou non du comportement”. L’accent est donc mis sur le consentement : ce qui compte pour déterminer s’il y a harcèlement sexuel au travail n’est, en effet, pas l’intention de l’auteur ou l’autrice de l’acte, mais le ressenti de la cible.
Le harcèlement sexuel au travail ressort principalement par la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) et recouvre des paroles, gestes ou actes à caractère sexuel non désirés, tels que des remarques inappropriées ou embarrassantes sur l’apparence physique, des remarques sexistes, des blagues sur le comportement sexuel ou l’orientation sexuelle, des contacts physiques non désirés, etc., ainsi que bien entendu des actes d’agression sexuelle, de contrainte sexuelle, de tentative de viol ou de viol. Plus d’exemples sont disponibles dans le document publié par le BEFG qui définit le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.
Plusieurs textes légaux suisses déterminent qu’il est de la responsabilité de l’employeur et l’employeuse de protéger ses employé·e·x·s contre les atteintes à leur dignité et contre les discriminations au travail. En plus de certains actes qui peuvent constituer une violation du Code pénal, le harcèlement sexuel est donc couvert expressément par la Loi sur l’égalité qui le qualifie d’atteinte à la dignité et de comportement discriminatoire. L’employeur et l’employeuse est tenu·e de protéger ses employé·e·x·s contre le harcèlement sexuel par d’autres employé·e·x·s (qu’iels soient en position de pouvoir ou pas), par des partenaires, par des fournisseurs et fournisseuses ou par des client·e·x·s.
Concrètement, l’employeur et l’employeuse doit à la fois prendre des mesures de prévention du harcèlement sexuel et intervenir en cas de harcèlement sexuel. Reste à savoir quels moyens sont réellement mis en place pour inciter et accompagner les employeurs et employeuses à faire de la prévention et à traiter les cas de harcèlement dans leur entreprise.
Les employé·e·x·s sont également protégé·e·x·s contre un licenciement pendant qu’une procédure concernant une situation de harcèlement sexuel est en cours, ainsi que dans le semestre qui suit la clôture de la procédure. Finalement, il est possible d’entamer une procédure pour harcèlement sexuel même après avoir cessé de travailler dans une entreprise.
Pour aller plus loin :
Ailleurs
Le harcèlement sexuel n’est pas explicitement traité par la loi suisse hors du cadre du travail, dans le sens où il n’existe pas d’article de loi comportant les mots “harcèlement sexuel”, mais de nombreux actes de harcèlement sexuel tombent sous le coup de réglementations existantes : agressions verbales et/ou physiques, à caractère sexuel et/ou discriminatoire, contraintes ou pressions à caractère sexuel ou discriminatoire, viol, etc. De même le harcèlement de rue n’est pas pénalisé en tant que tel, mais de nombreux actes couramment regroupés sous le nom “harcèlement de rue” sont couverts par la loi Suisse.
L’association Milleseptsans a compilé une liste des articles du Code pénal suisse pouvant être appliqués à différents actes de harcèlement sexuel sur laquelle nous nous sommes basé·e·x·s.
Agressions verbales : insultes, menaces, injures, tentatives de contact physique
- 126 CP « voies de fait » : une voie de fait est une violence faite à quelqu’un qui ne cause pas de lésion corporelle.
- 177 CP « injure » : le fait d’attaquer une personne dans son honneur de manière verbale, écrite, par une image ou par un geste. Si l’injure a été provoquée ou si la personne injuriée riposte (par une injure ou une voie de fait), il y a possibilité d’exemption pour l’auteur de l’acte. D’un point de vue légal, il vaut donc mieux éviter de répondre à une injure si l’on souhaite ouvrir une procédure.
- 198 CP « contravention contre l’intégrité sexuelle » : les paroles grossières d’ordre sexuel sont punissables.
- 261bis CP « discrimination raciale et sur l’orientation sexuelle » (dont islamophobie): si l’acte de harcèlement sexuel a une composante discriminatoire basée sur l’appartenance raciale, religieuse ou ethnique. De plus, le peuple suisse a accepté le 9 février 2020 l’extension de l’interdiction de discrimination ou d’incitation à la haine pour la punir également si elle se fonde sur l’orientation sexuelle. Dès que ce texte sera officiellement entré en vigueur, le 1er juillet 2020, ces actes seront donc réprimés par cette nouvelle infraction.
Agressions physiques : en cas de contact physique
- 122 CP « lésions corporelles graves » : lorsqu’il y a atteinte à l’intégrité corporelle par une lésion importante et durable à un organe important.
- 123 CP « lésions corporelles simples » : lorsqu’il y a atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sans atteinte durable à un organe important.
- 124 CP “Mutilation d’organes génitaux féminins”
- 126 CP « voies de fait » : dans le cas où l’acte implique un contact physique, mais ne cause pas de lésion corporelle.
- 134 CP « agression » : dans le cas où l’acte cause une lésion corporelle ou la mort.
Agressions à caractère sexuel
- 189 CP « contrainte sexuelle » : lorsque l’auteur et l’autrice utilise la menace, la violence, une pression psychologique ou met la cible hors d’état de résister dans le but de lui faire subir un acte d’ordre sexuel.
- 190 CP « viol » : attention, en Suisse le viol est à l’heure actuelle légalement défini comme le fait de contraindre “une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel” par la menace, violence, pression psychologique ou en mettant une personne hors d’état de résister. Si la cible de ce qui est socialement appelé un viol est officiellement de sexe masculin, il s’agit d’un point de vue légal d’une contrainte sexuelle. La peine maximale encourue est la même, contrairement à la peine minimale possible. Amnesty International Suisse a déposé en novembre 2018 une pétition demandant une révision du Code pénal suisse pour que « tout acte sexuel non consenti puisse être adéquatement puni ».
- 193 CP « abus de la détresse » : lorsque la victime est dans une situation de détresse, ou qu’elle est dépendante d’une personne qui lui fait commettre ou subir un acte sexuel.
- 194 CP « exhibitionnisme ».
- 197 CP « pornographie » : lorsque des écrits, enregistrements sonores ou visuels, ou images pornographiques sont montrés en public ou offerts à une personne sans invitation préalable. Dans le cas où la cible à moins de 16 ans, le fait de lui présenter du matériel pornographique est dans tous les cas condamnable (mais si la demande vient d’elle) et les sanctions sont plus sévères.
- 198 CP « contravention contre l’intégrité sexuelle » : lorsque la cible est confrontée à un acte sexuel dont elle ne souhaitait pas être témoin ou lorsqu’elle est dérangée par des attouchements d’ordre sexuel ou des paroles grossières.
La problématique de la preuve
Même si la nécessité de prouver les faits est quelque peu allégée dans le cadre d’application de la Loi sur l’égalité, un des problèmes principaux pour faire valoir ses droits est toujours celui de la preuve de ce qu’on allègue, et de notre version des faits. C’est d’autant plus le cas en droit pénal, puisque le prévenu et la prévenue (auteur et autrice) profite de la présomption d’innocence : iel doit être déclaré·e·x non coupable si on ne peut pas prouver la culpabilité. Comme les cas de harcèlement ou d’agression sexuel sont souvent réalisés dans un cadre fermé, il est fréquent qu’au final une parole se retrouve opposée à l’autre, sans beaucoup d’éléments pour trancher entre deux versions contradictoires.
Si vous entendez porter plainte ou entamer une procédure civile à la suite d’un cas de harcèlement ou d’agression sexuel, il est donc primordial de conserver et d’être attentive et attentif le plus tôt possible aux preuves dont vous aurez besoin. Les preuves du moment de l’agression ou du harcèlement, voire le moment précédent, sont primordiales. Sans exhaustivité aucune, l’on peut notamment penser à un constat médical, à des photographies, à des messages conservés, à conserver des traces de l’auteur et l’autrice, sa description, etc. Une réaction rapide facilitera toujours la suite éventuelle d’une procédure.
De nombreuses associations de soutien existent. Vous en trouverez une liste directement sur l’application EyesUp.
Ce qu’en pense EyesUp ?
EyesUp déplore le manque de législation concernant le harcèlement sexuel. Nous considérons que les lois en vigueur sont, à beaucoup d’égards, bien trop floues et trop mal adaptées à la réalité à laquelle les cibles de harcèlement sexuel sont confrontées. En particulier, Eyes Up regrette que le fardeau de la preuve ne soit pas allégé de manière plus significative. Cette difficulté à apporter la preuve du fait se couple à une définition du harcèlement sexuel mal comprise par toute la chaîne du système judiciaire et qui reste encore empreint d’une vision sexiste. Et cela à des conséquences : 80% des plaintes pour des cas dans le milieu professionnel n’aboutissent pas, pour ne prendre que cet exemple. En ce qui concerne plus spécifiquement le harcèlement de rue, EyesUp souhaiterait qu’une norme pénale soit ajoutée à l’arsenal juridique actuellement existant, de manière à ce que des amendes d’ordre (une sanction pécuniaire infligée directement par l’agent·e·x de police témoin de l’acte incriminé avec un délai de 30 jours prévu pour faire recours) puissent être infligées aux personnes qui harcèlent sexuellement dans la rue, comme cela est par exemple déjà possible pour les personnes qui crachent ou jettent un déchet par terre.
EyesUp est néanmoins conscient que les organes de police, comme l’ensemble de la société, ne sont pas exempts de sexisme, de racisme, de classisme ou de validisme. La formation de toute la chaîne judiciaire est donc fondamentale pour garantir que les discriminations ne soient pas reproduites dans les procédures. Mais surtout, un système de lutte contre le harcèlement sexuel basé principalement sur la répression n’est une solution ni souhaitable ni efficace.
En effet, le canal pénal et juridique n’est que le bout de la chaîne de la lutte contre le harcèlement sexuel. EyesUp souhaite dès lors que l’accompagnement des cibles de harcèlement sexuel soit renforcé et que les auteurs et autrices de violences sexistes intègrent des programmes socio-éducatifs ambitieux.
Plus fondamental encore, rien ne pourra réellement changer sans éducation des enfants à l’égalité et sans lutte contre le sexisme. Bien qu’il s’agisse là d’un combat de très longue haleine, EyesUp a la vocation d’alimenter, perpétuellement, le plaidoyer des cibles de harcèlement sexuel. Témoignant du besoin de libérer la parole et de lui donner une place dans le débat public.
Pour aller plus loin :